- FOUZOÛLÎ
- FOUZOÛLÎArabes, Persans et Turcs (Azéris ou Ottomans) se sont accordés pour reconnaître en Fouzoûlî l’un de leurs plus grands poètes «classiques». La critique moderne le considère unanimement comme l’un des auteurs les plus brillants et les plus représentatifs de la littérature islamique du XVIe siècle.Lettré accompli d’origine turque, Fouzoûlî (Muhammad ibn Sulaym n Fu ボ l 稜 ou, en turc, Mehmet Süleyman O face="EU Caron" ギlu Fuz l 稜) a écrit avec le même bonheur dans les trois grandes langues islamiques de son temps: l’arabe, le persan et le turc.Poète polyglotte et théologienOn possède peu d’informations biographiques précises sur Fouzoûlî; cette carence s’explique en grande partie par les bouleversements politiques survenus dans la région de l’Irak où il vécut.On peut, par des recoupements, fixer approximativement la date de sa naissance aux environs de 1495. Le lieu n’en est pas connu avec certitude: vraisemblablement Karbal ’, mais, en tout cas, une localité de la région de Bagdad. Il était issu de la tribu turcomane des Bayat, dont la langue appartenait au groupe turc-azerbaïdjanais; ce fait, qui paraît historiquement bien établi, est confirmé par les particularités linguistiques de son œuvre turque. Bien que, dans les vingt dernières années de son existence, sous la domination ottomane sunnite (qui persécutait le shi‘isme), il ait dû faire quelques concessions de forme à l’«orthodoxie», il était de confession shi‘ite.Son père était un religieux musulman (peut-être un muft 稜). Lui-même reçut une éducation islamique très poussée, où, à l’étude de la théologie et des sciences traditionnelles, s’alliait une formation littéraire arabe et persane, qui n’excluait pas la connaissance des œuvres turques (en tchaghataï et en osmanli).Sérieusement instruit dès son jeune âge, il fut un poète précoce, écrivant surtout en sa langue maternelle (turque-azérie) ses premiers vers. On sait qu’il dédia d’abord ses écrits au fondateur de la dynastie persane des Safawides, Shah Ism ‘ 稜l (1486-1524), champion du shi‘isme, lui aussi d’ascendance turcomane et poète turc célèbre sous le nom de Hat y 稜, qui avait conquis Bagdad en 1508 sur les Ak- バoyunlu (souverains turcomans du «Mouton blanc»).En 1534, quand Soliman le Magnifique eut pris à son tour cette ville prestigieuse, Fouzoûlî, devenu ainsi sujet des Ottomans, offrit ses vers, selon la tradition, à ses nouveaux seigneurs. Peut-être en raison de ses attaches shi‘ites, il fut assez froidement accueilli par eux et se plaignit, dans un audacieux et spirituel placet en prose (shik yet-n meh ), de leur avarice à son égard. C’est là, pourrait-on dire si l’on ne craignait l’anachronisme, une des plus originales réclamations de «droits d’auteur».Plus que de ses écrits, Fouzoûlî paraît avoir tiré sa subsistance de fonctions religieuses relativement modestes, en particulier celles de gardien, à Nadjaf, du tombeau du calife ‘Al 稜, haut lieu du shi‘isme, d’ailleurs vénéré, aussi, de tous les musulmans.La seule date précise que nous ayons concernant Fouzoûlî est celle de sa mort: en 963 de l’hégire (soit 1555-1556 de l’ère chrétienne), à Karbal où il fut enseveli. Une tradition qui paraît digne de foi attribue son décès à une épidémie de peste. Il laissait un fils du nom de Fazl 稜, qui fut, en son temps, un poète de moyenne renommée.Poète et mystique de l’amourDe son œuvre en arabe, il ne subsiste, malheureusement, que de rares vestiges, recueillis dans un unique manuscrit connu: ce sont des vers lyrico-religieux. Ses vers persans, eux, ont été assez largement conservés, dans un recueil (D 稜w n ) d’inspiration très personnelle, qui nous éclaire sur sa vie, ses sentiments et ses conceptions intellectuelles et morales. Il y exprime, notamment, le regret de vieillir, l’amertume d’être peu compris, l’honneur d’être savant et la valeur de la méditation.C’est surtout par son œuvre en turc, la plus abondante, consignée dans de très nombreux manuscrits (ottomans pour la plupart), que Fouzoûlî est justement fameux. Parmi une dizaine de titres célèbres, on retiendra son recueil de poèmes lyriques (D 稜w n turc) et son vaste roman en vers, sommet de la poésie classique turque, Leylâ et Medjnoûn (Leyl wü-Medjn n ).Le D 稜w n turc de Fouzoûlî se compose essentiellement de poèmes érotico-mystiques d’une métrique savante, pleins d’allusions, de jeux de mots, de sens doubles ou triples, d’allégories qui permettent au lecteur de leur donner des valeurs diverses (auxquelles le poète a certainement pensé tout à la fois) : mysticisme éthéré, passion amoureuse (où les éphèbes jouent un rôle dominant), sensualité raffinée, élégante ironie. Les controverses ne cesseront pas de sitôt entre des interprétations contradictoires en apparence, mais que le poète eût sans doute presque toutes acceptées. Le style est étincelant, foisonnant d’images, et la langue, quoique fondamentalement turque, se pare de toutes les richesses savantes du vocabulaire arabe et persan.L’œuvre majeure de Fouzoûlî, celle qui lui fait prendre rang parmi les plus grands poètes du monde islamique, est sans contredit son roman en vers Leylâ et Medjnoûn , achevé en 1535, et comprenant plus de trois mille distiques. Il reprend le thème célèbre d’une vieille légende arabe, celle d’un couple d’amoureux contrariés et fidèles jusque dans la mort, qui avait déjà inspiré de nombreux poètes persans ou turcs, tels Ni ワ m 稜 (XIIe siècle), Dj m 稜 ou ‘Al 稜 Sh 勒r (XVe siècle). À travers les tribulations et les tourments psychologiques de Medjnoûn, qui devient fou d’être séparé de sa bien-aimée, et de Leylâ, que ses parents refusent de lui donner pour épouse en raison même de sa folie, Fouzoûlî exalte un amour platonique poussé aux extrêmes limites de la passion et refusant, au nom d’un idéal de pureté, toute forme, même sublimée, d’accomplissement charnel. Seule la mort peut réunir les deux jeunes amants, ensevelis dans le même tombeau, heureux au paradis dans le sein de Dieu.En même temps qu’une histoire d’amour traitée, certes, sur un ton pathétique et dans une atmosphère de délire sentimental, mais aussi en donnant aux personnages une véritable consistance psychologique, le poème de Fouzoûlî est une allégorie mystique et philosophique exprimant le conflit entre la vie terrestre et les valeurs transcendantes.Le style, généralement éloquent, imagé presque toujours, plus éclatant qu’orné, présente des variations de ton qui évitent l’uniformité. Des poèmes d’un mètre plus léger, intercalés de temps à autre entre les majestueux mesnèv 稜 (distiques de deux fois onze syllabes à mètre fixe), contribuent à rendre moins pesante cette œuvre grandiose, mais qui reste élégante.Fouzoûlî, dont la langue très savante n’est aujourd’hui directement accessible qu’à un petit nombre de spécialistes, n’en a pas moins conservé, en Turquie, en Azerbaïdjan, en Iran, en Irak, et même au Turkestan, une célébrité considérable, grâce, notamment, à des adaptations modernes (parfois portées à la scène) de son roman Leylâ et Medjnoûn . Il continue d’inspirer des poètes dans l’ensemble du monde turcophone, quand bien même son mysticisme n’est plus partagé de tous.
Encyclopédie Universelle. 2012.